quinta-feira, 19 de janeiro de 2012

Clint Eastwood face au mythe Hoover

 

 

Dans "J. Edgar", le réalisateur explore la face sombre de celui qui dirigea le FBI pendant 48 ans. Un homme dont la toute-puissance, raconte-t-il, a marqué son enfance. Par Samuel Blumenfeld
Même avec le recul, Clint Eastwood est encore marqué par la violence qui émane de l'assassinat de John F. Kennedy tel qu'il l'a mis en scène dans J. Edgar (sur les écrans le 11 janvier). Sans empathie pour la victime. La scène est d'autant plus choquante pour le spectateur qu'on envisage généralement ce fatidique 22 novembre 1963 comme une tragédie qui touche alors profondément tous ceux qui en ont vu les images, pas seulement le clan Kennedy. Or dans J. Edgar, la mort du président devient l'équivalent d'une note de bas de page dans un livre d'histoire. Eastwood est d'autant plus secoué par l'impact inattendu que prend cette séquence qu'il ne tenait guère à accorder de place aux Kennedy dans son film. "Tout avait été dit et écrit sur eux. Les affaires conjugales de John, celles des deux frères avec Marilyn, les relations exécrables entre Hoover et la famille Kennedy. Qu'y avait-il d'autre à rajouter ?" D'évidence, rien. Si ce n'est mettre en scène autrement la chute du clan.
Il fallait pour cela inverser les perspectives. Ne plus se préoccuper du président ou de son meurtrier présumé, Lee Harvey Oswald, pour raconter ce 22 novembre du point de vue de John Edgar Hoover, qui fut le patron du Bureau of Investigation puis du FBI de 1924 à 1972. " Un homme mystère ", résume le réalisateur, qui a rencontré plusieurs collaborateurs de Hoover pour préparer ce film. Certains en parlent avec émotion. D'autres avec infiniment plus de réserve. Tous le considèrent comme un personnage indéchiffrable. " Mais personne n'était allé au-delà de la simple biographie. Je ne voulais pas me contenter de relater ses faits d'armes. Je tenais à comprendre ce qui se passait dans sa tête " explique-t-il.
Dans sa reconstitution du 22 novembre, Eastwood montre Edgar Hoover, incarné par Leonardo Di-Caprio, apprenant par un coup de téléphone qu'un tueur isolé vient de tirer sur le président à Dallas. Le patron du FBI se dirige machinalement vers la ligne sécurisée le reliant au ministre de la justice, Robert F. Kennedy. Il annonce sèchement au frère cadet de JFK : "Le président a été abattu", et raccro-che aussitôt. Tout est signifié en quelques secondes. L'antagonisme entre Hoover et le clan Kennedy. La prépondérance du premier, en mesure, par son r-éseau d'informations, de défaire les rois. Le patron du FBI détient un pouvoir souterrain et immuable, face à un hôte de la Maison Blanche forcément de passage - de Coolidge à Nixon, Hoover a servi huit présidents américains.
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Dans la réalité, J. Edgar Hoover s'est un petit peu moins précipité que dans le film d'Eastwood. Il y avait une agressivité, voire un soulagement quand il transmit la terrible nouvelle. Mais pas cette cruauté. Ce 22 novembre, Hoover rentra chez lui et regarda la télévision. Le lendemain, un samedi, il se rendit comme chaque week-end sur les champs de courses de Pimlico, à Baltimore, en compagnie de son inséparable numéro deux, Clyde Tolson, à la fois homme de confiance, indéfectible alter ego, et peut-être amant. Il passa une partie de sa journée à c-oordonner, depuis un bureau prêté par le champ de courses, l'enquête sur la mort de Kennedy et l'interrogatoire mené sur un c-ertain Lee Harvey Oswald. Puis, poursuivit, comme d'habitude, ses paris.
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"Cet épisode me tenait vraiment à coeur, insiste Eastwood. J'ai demandé à mon scénariste, Dustin Lance Black, de rassembler tous les détails qu'il était possible de retrouver. Hoover pouvait-il être à ce point cruel ? D'une telle sécheresse ? C'est pour cela que je montre Leonardo DiCaprio de dos à ce moment, comme s'il signifiait son mépris au spectateur." En préparant cette scène, Eastwood avait pensé à la célèbre séquence de L'Ennemi public de William Wellman où James Cagney écrase avec délectation un demi-pamplemousse sur le visage de sa compagne.
C'est après avoir découvert L'Ennemi public, puis Scarface de Howard Hawks et Little Caesar de M-ervyn LeRoy, ces films de gangsters en vogue au d-ébut des années 1930 (pour la plupart produits par Warner Bros, le studio avec lequel Eastwood travaille depuis le milieu des années 1970), que Hoover a réalisé qu'il lui fallait gagner la guerre des images pour imposer le tout nouveau FBI, créé en 1935 à partir du Bureau of Investigation. Dans le film d'Eastwood, Leonardo DiCaprio découvre au cinéma la bande-annonce de L'Ennemi public au m-ilieu d'un public surexcité. Sur l'écran, le visage halluciné de James Cagney frappe le jeune directeur du Bureau. Dès 1935, dans G Men de William Keighley, James Cagney incarnera un jeune agent fédéral. C'est un tournant : les jeunes Américains s'identifient désormais au défenseur de l'ordre, et non plus au gangster.
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"C'est à cette époque, au tout début des années 1940, se souvient Clint Eastwood (né en 1930), que nous avons commencé à prendre conscience de l'importance qu'il avait acquise. Mes parents, d'autres adultes autour de moi, ne parlaient que de Hoover, au moins autant que des procès en paternité d'Errol Flynn. Et il y avait ce feuilleton radiophonique, FBI in Peace and War ("Le FBI dans la paix et dans la guerre") que nous écoutions tous. " A partir de 1935, quand sa photo paraît en couverture de Time (cela se reproduira trois fois au cours de sa carrière), J. Edgar Hoover devient une icône. Une enquête menée en 1936 auprès de 11 000 écoliers conclut que Hoover est alors pour eux la deuxiè-me personne la plus populaire du pays, juste derrière un dessinateur de bandes dessinées R-obert Ripley. Le président Franklin Roosevelt n'arrive qu'en septième position.
Edgar Hoover n'aura de cesse de cultiver son image pour contrôler de manière toujours plus efficace son organisation. Il entretenait soigneusement ses liens avec Jack Warner. Quand le patron de Warner Bros prenait l'avion, des agents du FBI l'escortaient dans l'aéroport et facilitaient ses déplacements. L'acteur James Stewart, qui tint le rôle d'une nouvelle recrue du FBI dans un film produit par la Warner, The FBI Story (1959), eut droit à un traitement comparable. La série télévisée " The FBI ", diffusée à partir de 1965, était suivie avec attention. Hoover et son numéro deux Clyde Tolson lisaient les scénarios de chaque épisode et un agent du FBI assistait aux tournages.
En retrouvant les bandes dessinées consacrées au patron du FBI et à ses hommes, ou en relisant les feuilletons relatant les exploits de Hoover, Eastwood a été surpris de découvrir à la fois " un flic de pacotille " et " un homme politique exceptionnel ". Il savait se faire photographier en compagnie des stars holly-woodiennes, Shirley Temple, Dorothy Lamour, G-inger Rogers, et faire taire les journalistes trop critiques. Le film montre comment Hoover était passé maître dans l'art de se faire passer pour l'homme qu'il n'était pas. Il laissa croire qu'il avait arrêté en personne plusieurs criminels de renom, John D-illinger, Alvin Karpis et " Machine Gun " Kelly, dans les années 1930. Or on sait aujourd'hui que, s'il avait bien orchestré ces arrestations, Hoover ne s'est jamais trouvé sur le terrain. C'est un autre agent du FBI, Melvin Purvis, (Christian Bale l'incarne au c-inéma dans Public Ennemies de Michael Mann) qui a arrêté John Dillinger, ce qui lui valut de devenir célèbre. Une reconnaissance dont prit ombrage son supérieur. Hoover trouva en 1938 un prétexte pour le renvoyer du Bureau. " Melvin Purvis n'a jamais eu le moindre mot de ressentiment à l'égard de Hoover, s'étonne Eastwood. C'est quand même fascinant. Plus étonnant encore, lorsque Purvis s'est suicidé, Hoover n'en a jamais parlé, aucun regret, rien. "
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Hoover était un animal politique hors du commun. Mais lorsque Eastwood prend la mesure de ce talent, c'est du point de vue d'un metteur en scène et d'un acteur, pas d'un historien. Sur un enregistrement audio découvert par le réalisateur mettant Hoover aux prises avec Richard Nixon, Eastwood est frappé par la manière dont le patron du FBI donne son avis sur tout et exerce son ascendant sur le président. " C'est très impressionnant, note-t-il, admiratif. Cela montre l'idée que se faisait Hoover de son pouvoir. Il se comporte comme un roi ; il s'adresse au président comme on parle à un sujet. Il avait une intensité inhabituelle dans sa voix, qui donne l'impression qu'en plus de mener les débats, il calme son interlocuteur. "Son pouvoir, Hoover le tenait aussi des fameuses écoutes, enquêtes, enregistrements, qu'il faisait r-éaliser sur tout le personnel politique, depuis le parlementaire jusqu'au président, et qu'il mettait à jour et classait scrupuleusement. " Ces dossiers ont été détruits par Helen Gandy, la secrétaire de Hoover, juste après sa mort, raconte Eastwood. Que contenaient-ils ? On ne le saura jamais. Contenaient-ils seulement quelque chose ? J'aime bien l'idée que tout son pouvoir reposait peut-être sur du vent. "Hoover était aussi fier de son système d'archivage que de la création d'une banque centrale d'empreintes digitales pour faciliter la recherche des criminels, véritable révolution dans la lutte contre le crime. Un classement kafkaïen, mystérieux et inintelligible, volontairement labyrinthique, dans lequel il était le seul à se retrouver, avec des dossiers intitulés " Obscène ", " Pervers sexuels ", " Personnel et confidentiel " ou encore, le plus baroque de tous : " Ne pas classer ".
Dans les centaines de photos de Hoover et de tous ceux côtoyés par le patron du FBI, compilées par East-wood dans d'énormes classeurs, on voit les images qui l'ont inspiré pour son film. Se détache une série publiée par Life. Dans le magazine, J. E-dgar Hoover pointe le doigt sur une gigantesque carte des Etats-Unis dont les principales villes sont punaisées par un drapeau, signe évident de la gigantesque toile d'araignée tissée par le patron du FBI. " Il jouait aux échecs avec cette carte ", estime East-wood. Sur un autre cliché, le plus impressionnant peut-être, Hoover est assis, une mappemonde à ses pieds, dans un lien de sujétion qui en dit long sur la manière dont il envisageait sa tâche. Jeune patron du FBI, Hoover avait détesté L'Enfer est à lui et S-carface, deux films auxquels il reprochait de donner une vision héroïque du gangster. Dans L'Enfer est à lui, James Cagney répétait à sa mère qu'il se trouvait sur le toit du monde, tandis que le Paul Muni de Scarface, regardait un ballon dirigeable où était inscrit en signe de devise : " Le monde est à toi. " Hoover leur disputait cette emprise sur le monde. Il les a finalement surpassés.
Hoover contrôlait son univers depuis les quartiers généraux du FBI à Washington. C'est d'ailleurs la principale perspective offerte dans J. Edgar : un b-ureau d'où il observe le monde et regarde les présidents passer. Un royaume miniature, en autarcie, fonctionnant selon ses propres règles. " Hoover se montrait strict sur les costumes de ses employés, leur vie maritale, leur consommation d'alcool. Ils devaient en outre tous être diplômés en droit. Il agissait en metteur en scène dans son univers, attentif à chaque détail. Avec les excentricités qui l'accompagnent. Par exemple, il ne tolérait pas les gens aux mains moites. "D'autres détails émergèrent après la mort du patron. Ce dernier interdisait les pauses café. Lettres et mémos devaient être rédigés de manière uniforme, dans un respect des marges et des interlignes fixés au millimètre par le patron. Il ne supportait pas non plus la contradiction. " Qu'il neige ou qu'il vente, si Hoover estime que c'est une journée ensoleillée, racontait Sam Noisette, le réceptionniste du FBI, il n'y a rien d'autre à ajouter si ce n'est dire que le soleil brille. " D'autres excentricités se manifestaient, rapprochant Hoover d'un personnage à la Howard Hughes. Après un accident de voiture, survenu alors qu'il tournait à gauche, Hoover demandait au chauffeur de sa Cadillac de systématiquement se diriger vers la droite, au risque de rendre compliqué le t-rajet le plus simple.

Le monde de Hoover tournait dans un périmètre réduit. D'abord ses bureaux. Puis sa maison. Enfin, le restaurant du Mayflower Hotel, où il déjeunait chaque jour avec Clyde Tolson, et Harvey's, au 1 100 Connecticut Avenue, où il dînait tous les - soirs, toujours en compagnie de son numéro deux. H-oover mangeait invariablement la même chose, un hamburger puis une glace à la vanille, parfois de la soupe à la tortue et des huîtres, et repartait avec des sandwiches au jambon pour ses chiens. Il s'asseyait systématiquement dos au mur, Clyde Tolson en face de la porte, de manière à voir qui arrivait.
Il ne fallut pas longtemps pour que les rumeurs d'homosexualité se développent autour du couple Hoover-Tolson. Deux scènes de J. Edgar, évoquent le sujet. Dans l'une, Armie Hammer, le comédien incarnant Clyde Tolson, embrasse Leonardo Di-Caprio. Dans l'autre, ce dernier enfile la robe de sa mère - selon l'un des bruits circulant autour du p-atron du FBI, il aimait s'habiller en femme. De fait, les rumeurs circulaient à l'intérieur du FBI. Des agents parlaient entre eux de " J. Edna " et " Maman Tolson ". L'écrivain Truman Capote, lui-même homosexuel, assurait à un rédacteur en chef d'un magazine que Hoover et Tolson faisaient p-artie de la même confrérie que lui. Il songea à leur consacrer une longue enquête mais n'alla jamais au-delà d'un titre, Johnny and Clyde.
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Pour le scénariste de J. Edgar, Dustin Lance Black, l'homosexualité du patron du FBI ne fait guère de doute. " D'anciens agents estimaient n'avoir aucune idée là-dessus. D'autres, conscients que leur patron n'était pas un homme à femmes, répondaient pudiquement : "Hoover était marié au FBI." Il faut remettre les choses dans leur contexte. Hoover prenait soin de se débarrasser des agents du FBI soupçonnés d'homosexualité. Dans une administration pareille, bien avant la révolution des années 1960, il était impensable d'afficher sa différence sexuelle. Hoover ne pouvait pas sortir du placard. "
Eastwood a préféré tracer un immense point d'interrogation sur l'orientation sexuelle de son personnage. Quand on découvre les photos de son compagnon prises par Hoover, sur lesquelles s'est appuyé le metteur en scène - Clyde Tolson e-ndormi, en robe de chambre, ou torse nu au bord de la piscine -, on découvre une intimité évidente. " L'amour et le sexe sont deux choses différentes. Hoover avait d'évidence une grande estime pour Tolson, il m'apparaissait superficiel d'envisager leur relation comme seulement homosexuelle, à supposer qu'elle l'ait été. "
L'univers de J. Edgar Hoover s'organisait avec peu de monde. Deux personnes, concrètement : sa secrétaire, Helen Gandy, et Clyde Tolson. Dans une structure qui rappelle les microcosmes, souvent situés en marge de la société, à l'intérieur desquels les personnages des films d'Eastwood s'épanouissent et vivent leur différence, que ce soit les membres du cirque de Bronco Billy, les marginaux de Josey Wales hors-la-loi, ou les soldats de -Mémoires de nos pères. " Hoover fonctionnait avec des personnes de confiance. Sa mère, avec laquelle il habitait, et Helen Gandy firent partie du premier cercle. A la mort de sa mère, Tolson entre dans ce cercle, explique Eastwood. Helen G-andy est une légende au FBI. Son patron actuel, R-obert Mueller, m'a avoué ne rien connaître d'elle, sauf une chose : elle -assurait l'intendance de manière i-ncroyable. Quand on y pense, à la mort de Hoover, Tolson et Helen Gandy n'ont pratiquement pas parlé. Ils auraient pu écrire un livre de Mémoi-res, et toucher des millions de dollars. Ils ne l'ont jamais fait. La loyauté était la clé de l'univers de Hoover, avec le sens aigu du secret qui l'accompagne, et c'est bien la seule chose dont je sois -certain à son sujet. "

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